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L'éditorial de Suzanne Ferry - novembre 2013

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«Être conscient que demain existera et que je peux avoir une influence sur lui.» - ALBERT JACQUARD.

Il nous a quittés en septembre. Ingénieur, biologiste, écrivain et j'en passe, il risque d'être oublié bien vite tant sa philosophie du bonheur parait simple, forgée en partie dans une enfance douloureuse.

Inquiet de l'avenir de l'humanité et de l'urgente nécessité de modifier nos valeurs, il nous explique dans sa "petite philosophie a l'usage des non-philosophes" (en livre de poche) un art de vivre fait d'humilité et de profonde réflexion.

L'actualité de ses propos nous interpelle. - À suivre absolument.

«Exprimer une idée est une activité difficile à laquelle il faut s'exercer ; la télé supprime cet exercice ; nous risquons de devenir un peuple de muets, frustrés de leur parole, et qui se défouleront par la violence» Albert Jacquart

«Sans imagination il ne pourrait y avoir création.» A. J.

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Nous avons fait quelques découvertes intéressantes lors de la soirée du même nom. Nous vous proposerons leurs chansons dans nos spectacles à venir.

2014, l'année des élections! Mais nous vous la souhaitons néanmoins originale, belle à vivre et pleine de projets.

André Le Notre (1613-1700)

Rue du Marché aux Fromages, où nous nous trouvons, à 50 m de la Grand-Place, il n'y a pas d'espace pour un jardin. Pourtant dans ma maison, il y a quand même un petit coin de verdure: 1m30 sur 1m50. Je vous vois sourire «Veux-tu que je prête ma tondeuse?» Ne riez pas, c'est assez pour rêver si l'on ne lève pas trop les yeux et si l'on met une musique douce afin d'oublier le ronronnement des grosses cheminées ronflantes des restos environnants.

Mais quel immense bonheur, lorsque dernièrement, nous avons eu l'occasion de visiter Le Château de Versailles. Croyez-moi, ce fut pure émotion de découvrir la nuit s'éclairer de mille feux sur les jets d'eau des plus somptueux jardins de France.

2013 a été sacrée année André "Le Nôtre". Si Jean fut au service de Louis XIII, c'est bien son fils André qui devint l'indispensable et fidèle jardinier de Louis XIV durant plus de 35 ans. Fouquet, le surintendant des finances avait voulu éblouir son Roi avec son Château de Vaux aux jardins mirifiques en l'invitant lors d'une fête dont on parla longtemps. Il n'a réussi qu'à exciter la jalousie du monarque dont profita Colbert pour discréditer ce ministre dont il briguait la place. Le premier se retrouva en prison pour malversations financières et l'autre prit sa place le plus naturellement du monde.

De ce changement profita André Le Nôtre, qui avait attiré l'attention du Roi lors de sa visite à Vaux. Et ce fut la grande chance pour ce dernier artisan d'une longue lignée de jardiniers qui jusque là vivaient dans l'anonymat et avec des salaires misérables...

Pour Fouquet, à Vaux, il y eut déjà "cinq années de labeur incessant, 20 km de tuyauterie et neuf de charmille, jusqu'à 10 000 hommes travaillant sur le site," avant qu'il n'invite son roi en août 1661. Evidemment, pour Louis XIV, Il eut été intolérable de ne pas dépasser celui-ci en magnificence. Voilà pourquoi s'inscrit «le plus grand livre de l'histoire»: 1 000 hectares de jardins et de jeux d'eaux plus sophistiqués les uns que les autres.

Sitôt Fouquet emprisonné, le roi le pille (sic) meubles, tableaux, livres, tapisseries, jusqu'aux statues qui prennent la route sur des chariots bâchés.Dès l'automne, on retrouve courtisans et œuvres d'art à Versailles et chacun est ravi. Mais voilà, le principal écueil est l'absence d'eau dans la contrée, premier élément indispensable aux fontaines. Qu'importe, on y dépensera une fortune pour remplir les points d'eau. Les mares sont indigentes? Nulle rivière ne traverse le site? Alors on détourne, on crée des pompes puissantes pour élever l'eau d'un lac voisin, on construit des moulins, on dévie les rivières, on capte toute la pluie d'un plateau en réservoirs. Le XVII siècle a le goût de l'eau, l'aménagement du canal permet au Roi d'admirer lors des promenades le reflet des nuages et du soleil dans l'eau... Un livre complet relatera les dépenses englouties à cet effet.

La chambre du monarque se trouve au milieu du Château, c'est aussi le milieu du parc, lieu magique et centre du monde pour le Roi-Soleil, grand ordonnateur de l'harmonie universelle: le matin, il doit pouvoir apprécier du regard l'enfilade des jardins.

Le peintre Lebrun choisit les sculpteurs et passe commande, c'est Le Nôtre qui les place, l'essentiel étant de joindre esthétique et politique. On contribue à la sublimation de Louis XIV en peuplant son jardin de héros mythologiques... Autant qu'un parc, Versailles est un livre. Le Nôtre, ennobli et tout étonné de l'être, est plus «aménageur pharaonesque que cultivateur, il est hanté par la perspective plus qu'amoureux de la botanique» connaissant pourtant ses principales lois et surtout comment les appliquer, imposant une intelligence tenace; même les «surprises» ont été voulues et ordonnées: la sève doit filer doux quand il s'abandonne à goûter un spectacle dont il ne sait rien d'avance... Sa modestie rassure un peuple qui reconnait son talent même s'il reste dans l'intimité du roi plus que quiconque et pendant si longtemps.

Nous retournerons à Versailles et apprécierons son oeuvre sans doute d'un oeil plus averti. En attendant, il nous reste notre original et minuscule lopin de verdure pour respirer les très particulières senteurs humides de l'automne avant de pouvoir s'enivrer des parfums de printemps.