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Le surréalisme

Août 1996: l'éditorial de Suzanne Ferry

Chers amis,

Ça sent la rentrée à plein nez. Bonne ou mauvaise odeur?… Bonne, la légère nostalgie des vacances, bonne l'odeur des projets, des amitiés retrouvées, des bonnes habitudes et des grandes résolutions.

Trêve de blabla, nous voudrions vous communiquer ici notre programme de fin août ainsi que celui du mois de septembre.

Avant tout, nous disons merci à tous nos amis artistes. (Il paraît que le mot artistes est ringard, mais trouvez-m'en un autre qui les définissent tous en un). Merci aux quarante et un amis venus donner le meilleur d'eux-mêmes. Merci à ceux qui sont venus spontanément me proposer de venir jouer ou chanter «pour m'encourager dans ma folie.» (Ce n'était pas toujours le terme employé, encore qu'il fût très adéquat).

Depuis mars, on a souvent tremblé; tout est si nouveau et difficile, mais on a vécu tant de moments d'intense amitié grâce à vous. amis et public. Souvent on s'est dit «On ne va pas tenir le coup.» C'était compter sans vous et le dynamisme que vous nous insufflez.

A très bientôt, vous nous manquez déjà.

Notre ASBL Cabaret aux Chansons a été créée au début de cette année. La raison première, (mais non la seule) est la promotion de la Chanson Française et Belge! Il paraîtrait qu'elle n'intéresse plus grand monde, qu'elle est en recul etc. Loin de nous décourager, cela nous donne une raison d'être et de nous battre en plus. Et ce n'est pas Pierre Collard-Bovy qui nous contredira. Mais si la chanson actuelle retient toute notre attention, celle des décennies précédentes nous intéresse énormément. Ringarde? Ce mot nous hérisse le poil. Qu'importe qu'elle soit d'aujourd'hui ou d'hier, l'essentiel est l'émotion qu'elle suscite. Et si Gainsbourg a repris «Le Légionnaire», ce n'était certes pas pour se moquer de son auteur, ni de Piaf ou autre Damia.

Mais revenons à notre ASBL. En font partie, notamment, ce Monsieur calme(!) et réfléchi à la sono, à la caméra, au bar, aux outils, aux courses, à la vaisselle, et j'en passe, c'est Marc, le mari de Suzanne. Il y a aussi Jo May, disciple du phénoménal disparu Léo Campion, ce Belge parisien. Jo est chansonnier de son état, et notre ami de toujours.

Enfin Josiane Selliez et son mari Philippe Franck. Celui-ci, dont vous avez pu apprécier les talents de guitariste est aussi un auteur dramatique fécond. Nous lui faisons ici un appel du pied pour la prochaine petite bafouille. Sa plume imaginative vous donnera, j'en suis sûre, des frissons de plaisir littéraire.

Deux jeunes représentants de la chanson viendront nous rejoindre bientôt.

Le surréalisme

La période la plus féconde du surréalisme se situe entre les deux guerres. Il fut annoncé par le Dadaïsme.

Mouvement littéraire et pictural, le surréalisme fut porté à bout de bras par André Breton (souvent contesté, ou contestant). Celui-ci écrivit en 1924 le Manifeste du Surréalisme et, en 1942, les Prolégomènes à un Troisième Manifeste du Surréalisme ou Non, mais le surréalisme déborde de ces deux dates. Il connut sa dernière manifestation publique en 1965 avec une grande exposition collective l'Ecart Absolu.

En quelques mots, qu'est-ce que le surréalisme?

Agacé par les carcans de la logique et du raisonnement, les surréalistes se tournent vers l'automatisme, libérateur de l'inconscient. Ils furent nombreux, de Chirico à Dali en passant par Ernst et l'incontournable Magritte pour la peinture, d'André Breton à Eluard, Aragon, Philippe Soupault et tant de Belges tels Paul Colinet, André Souris et Louis Scutenaire (Scut pour les intimes).

Le surréalisme nous lègue une oeuvre abondante, débordante, dont l'intelligence et l'imagination confinent souvent à la folie et qui sollicite notre imaginaire de compréhension et d'émotion. Par sa volonté de mettre l'inconscient à portée de la main, il balaye les esprits d'un vent libérateur et permet d'autres horizons dont notre monde profite encore.

Nous emprunterons à Scutenaire le mot de la fin: «La raison n'a qu'une part d'adjointe au déroulement des faits qui marchent droit, chancellent, grimacent ou resplendissent. N'en déplaise aux Pascal, Descartes et autre A. Comte dont les vertiges s'accrochent à des cordages fictifs. Le rêve, l'imaginaire, l'inconscient, la légende, l'erreur font l'histoire comme ils font le présent.»

  • Il y en a qui croient, il y en a qui doutent, il y en a qui pensent. Je suis de ceux qui pensent: je pense que je crois que je doute.
  • C'est stupéfiant, Lorrie qui n'a pas de coeur, a un coeur d'or.
  • Je n'ai jamais été fixé que par le plaisir et la douleur, pas encore par l'indifférence.
  • Après tant d'autres, il faut que je soupire: la vie est si simple et si difficile.
  • On regarde moins ce que l'on voit que ce que l'on espère.
  • Rigoureusement.

Ces petits encarts littéraires sont dus à la plume de Scutenaire, dans son livre intitulé Mes Inscriptions (Ed. Labor, 1990).

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Mai 1999: l'éditorial de Suzanne Ferry

N'écoute pas les fous qui nous ont dit:
La liberté est au bout des fusils…
les marchands d'armes ont tous de beaux enfants…

(La petite Kurde, Pierre Perret, 1992)

Yougoslavie, devenue depuis trop longtemps Yougoslamort. dites-moi où se cache l'homme de bonne volonté qui en fera Yougos l'amour?

Quelle connerie, la guerre.

(Barbara, Jacques Prévert)

Magritte, Scutenaire: surréalisme et amitié

En a-t-on parlé de Magritte, l'an dernier… C'est donc une approche plus intimiste que nous vous proposons ici, basée surtout sur les témoignages de son ami Louis Scutenaire. Ils étaient nés à quelques kilomètres de distance et, bien que Magritte ait quitté Lessines cinq ans avant la naissance de son ami, ils y sont revenus souvent ensemble chez la mère du poète. Ils adoraient les énormes cratères laissés par les artificiers des carrières.

Pour ceux qui l'ont côtoyé, Magritte était sans doute introverti, d'humeur sombre et secrète. Bien qu'une subversion surréaliste unisse le peintre et le poète depuis leur rencontre dans les années '20, que n'a-t-il fallu d'insistance de son jovial ami pour connaître certains faits marquant de l'enfance du peintre, notamment le suicide de sa mère, vécu quand il avait douze ans. Il semble que Magritte ait voulu oublier son passé. Il se plaisait cependant à souligner deux événements mémorables de sa prime enfance:

- une caisse posée près de son berceau dont il ignorait le contenu;
- des hommes sur un toit enlevant l'énorme voile d'un ballon tombé sur une maison voisine.

Nous apprenons par Scutenaire que sa vie à Châtelet (creuset culturel avec, notamment, les peintres Gustave Camus et Pierre Paulus) fut déterminante dans ses choix. A 11 ans, il y prend des cours de dessins. A 17 ans, il s'inscrit à l'école des Beaux-Arts de Bruxelles. C'est dans la capitale qu'il retrouve Georgette Berger. Il l'épouse en 1922. Elle sera la muse et le modèle de toute une vie.

Il entre alors, comme seul peintre, dans le cercle d'amis littéraires formés par les surréalistes André Souris, Paul Colinet, Marcel Mariën, Paul Nougé, Louis Scutenaire. En constante recherche, mais connaissant les limites de la connaissance, il ponctuait souvent ses réflexions par un pontifiant «Tout est mystère.»

«Scut» fait le droit à l'ULB et devient fonctionnaire au Ministère de l'Intérieur. Il épouse en 1930 Irène Hamoir, rédactrice au journal Le Soir. En 1947, il publie un premier essai: Magritte, puis un deuxième, en 1950, expliquant la manière du peintre de donner à voir la face cachée des choses qui force à toujours regarder la réalité sans se fier aux apparences.

Magritte meurt en 1967. Scutenaire lui survit vingt ans. Il obtient, en 1984, le Grand Prix de l'Humour Noir. Il collabore à quantité de revues.

Le 15 août 1987, il décède en regardant une émission de télévision… consacrée à Magritte, une façon bien surréaliste de sceller une amitié à jamais.

Quelques phrases lapidaires de Scutenaire:

  • Je prends le monde tel que je suis.
  • Pas la justice… la justesse.
  • On peut atteindre les idées en leur jetant des mots.
  • L'action vous jette dans le lac ou vous pousse dans le sillon.
  • L'opinion des autres sur moi ne m'importe qu'en fonction de la mienne sur eux.
  • Souvent, c'est à cause de notre insuffisance que nos biens ne nous suffisent plus.

(Extraits de Mes Inscriptions, Ed. Labor)

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