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Marc Chagall

Octobre 1996: l'éditorial de Suzanne Ferry

«Poète est celui qui brise en nous l'accoutumance et délivre en nous des sources encore captives» (Saint John Perse).

Aux portes de l'automne, aux couleurs de l'été indien, voici notre programme arc-en-ciel des mois d'octobre et novembre.

De la chanson avant tout (presque exclusivement des produits originaux) bien sûr, mais aussi du théâtre, de l'illusion, de l'impro, du jazz, des musiques d'ici et d'ailleurs.

Des artistes de tous âges, la part belle aux jeunes et, mieux, des «premiers tréteaux» pour certains.

Marc Chagall

«Moi, je comprends ta peinture», lui dit un enfant. «Tu en as de la chance, moi je ne la comprends pas.» Sans doute avaient-ils raison tous les deux. Né à Vitebsk en 1887, mort à Saint Paul de Vance en 1985.

Deux femmes marquèrent la vie de ce grand amoureux devant l'Eternel: Bella qui disparaît en 1944, Vava qu'il épouse en 1952 et qui lui rendra bonheur et équilibre.

Que de chefs-d'oeuvre en peinture, mosaïque, décors et costumes de théâtre, gravure, lithographie. De sa rencontre, en 1958, avec un maître verrier, Charles Marq, naîtra une production très importante de vitraux.

«Chagall est venu à grands pas
De la Russie morose
Il a dans sa besace des violons et des roses.
Des amoureux plus légers que des anges.
Et des mendiants en redingote.
Des musiciens et des archanges et des synagogues
Toute la bible en images.
Tous les grands personnages.
Des foules, des noces, des baisers
Des chevaux chimériques.
Des dames et des cavaliers et des cirques.
Il a peint l'univers entier. Rien n'y manque.
Avec toutes les couleurs du soleil qui y dansent…»

(Extrait de Raïssa Maritain)

Chagall se raconte à travers le récit qu'il fait de l'histoire des hommes. Il n'a jamais tout à fait quitté son Vitebsk natal au nord de Moscou. Fasciné par les célébrations de rites religieux, particulièrement réceptif, il nous raconte les fêtes, la détresse, les rues. «Mais dans ma pensée, confie-t-il après son Message Biblique, mes tableaux ne représentent pas le rêve d'un seul peuple, mais de toute l'humanité.» Sa verve féerique, son art qu'il qualifie d'«Insensé, peut-être» relèvent d'un univers intérieur d'une richesse poétique sans précédent, où l'espace et le temps, l'émerveillement permanent sont l'apanage d'un coeur candide, d'une impérissable jeunesse.

Il y a la bonté Chagalienne, l'allégresse qui met ses personnages en état d'apesanteur. Son humanité est vigilante. «Dans l'art comme dans la vie, tout est possible si, à la base, il y a l'amour.» La couleur et la matière sont ses seuls langages. Cette imagerie fantastique faite de rêve et d'amour n'aurait jamais connu pareille résonance sans ses solides qualités techniques.

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Novembre 2005: l'éditorial de Suzanne Ferry

Dans un de nos tout premiers programmes, en 1996, nous vous parlions de Chagall, de sa peinture faite de symboles, de mouvement aérien et de lumière. Il nous plaît d'y revenir avec une étude faite à partir d'un article que Bella Meyer écrivit à l'occasion d'une exposition qui eut lieu, en 2002, au musée Chagall de Nice.

Chagall? Peindre la musique

C'est dès l'enfance, au sein de sa famille que celui-ci entra en contact avec la musique. Son oncle était violoniste, (lui-même a tenté d'en jouer). Leur proche voisin maniait l'archet et le quartier juif de Vitebsk était tout entier baigné de musique, tandis que violon et mandoline liaient la famille en des moments d'exceptionnelle intimité. En 1908 déjà, dans l'émouvant tableau intitulé «La Mort» le violoniste inspiré, spirituel, se trouvant dans le haut de la toile contraste avec le défunt qui, lui, se trouve à la base du tableau.

Dès l'année suivante, dans ses grands portraits de musiciens, on peut épingler d'une part le côté dansant, vibrant du folklore juif : aux violons viennent se joindre flûte, trompette, cymbales réunies dans une fête commune ; mais, d'autre part, dans les diverses repré­sentations de sa famille musicienne, on décèle un tout autre climat fait d'intimité et de chaleur chromatique, de douceur, de lumière et de silence.

Les premiers portraits de son frère et de ses s½urs datent de 1914, de l'époque où il quitte la France pour se réinstaller à Vitebsk. Il les appelle «Peintures de la mémoire». On ne possède pas de document d'époque attestant du style de musique pratiquée du temps de ses premières toiles et Chagall lui-même n'en parle pas, mise à part la musique Klezmer, traditionnelle des noces. Ce qui semble évident, par contre, c'est qu'il rencontre plus tard la musique occidentale classique.

En suivant son parcours pictural, on peut aisément comprendre que celui-ci devient de plus en plus musical, transparent véhicule du son et du mouvement, véritable «chant venu du ciel». La musique l'aide avant tout à traduire le bouillonnement émotionnel, lui permettant de «sortir du cadre de sa toile» comme il le dit lui-même.

Déjà dans les années révolutionnaires, confronté à des dimensions colossales (anniversaire de la révolution à Vitebsk, peintures murales pour le théâtre juif), il se laissait emporter par les cadences musicales pour rythmer sa peinture.

En 1942, il se plonge dans la musique de Tchaïkovski pour le ballet Aleko.

En 1945, avec la flûte enchantée, Chagall se libère peu à peu des lois physiques de la peinture. Il semble se confirmer que c'est grâce à sa musique que Chagall parvient à décorer des espaces énormes, en célébrant amour et beauté - ce qui lui était le plus cher - et en s'éloignant de plus en plus des lois de la gravité.

L'artiste, pour refaire le plafond de l'Opéra de Paris, anima la coupole en célébrant les grands compositeurs et en visualisant l'émotion que leur musique savait nous donner par le langage des couleurs. Sur la façade du Métropolitan Opera à New York se trouvent 2 grands panneaux rouge et jaune «Les sources de la musique» et «Le triomphe de la musique». On est comme emportés par la musique des couleurs rythmées et par des images encore «plus libres et vibrantes que l'oiseau en vol». Quelle leçon de générosité quand il partage sa passion de fêter l'amour.

En travaillant sur ses vitraux, à l'écoute d'un quintette de Mozart, Chagall s'exclamait : «Il écoute la dictée des anges, ce n'est pas donné à tout le monde !»

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