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Léo Campion

Mars 2000: L'éditorial de Suzanne Ferry

Irène Deneuville viendra présenter son nouveau CD le 7 avril: 22 titres. Beaucoup de nouveautés. Un environnement musical très riche et plein d'inventions. Nostalgie, révolte, tendresse, espérances. Une palette de sentiments décrits avec le talent qu'on lui connaît.

Richard Deblauwe vient de sortir un CD lui aussi: Au fil de l'eau. 15 titres. Si la chose vous intéresse, nous avons ses coordonnées. Il reviendra en concert un de ces prochains mois.

«On aura beau faire (ou mal), toutes les chansons ne se ressemblent pas. La chanson ne s'adresse pas toujours aux pieds (marches militaires) ou au ventre (les chansons bacchiques); il arrive qu'elles s'adressent à l'esprit et au coeur. Quand l'esprit et le coeur y trouvent ensemble leur compte, quelque chose se passe, un événement rare: le fragile, l'éphémère refrain devient une bonne chanson qu'on a envie de conserver comme une oeuvre d'art. Petite, considérons-le par la taille, mais non forcément mineure, sinon la Tour Eiffel serait préférable à la Sainte-Chapelle et Ponson du Terrail à Stendhal.»

Boris Vian

«Objection, Votre Honneur!» Léon Campion

J'ai débuté dans la vie comme nouveau-né, en 1905, le 24 mars, peu avant 6H du matin. Je ne me suis plus jamais levé si tôt. Le printemps avait trois jours et moi neuf livres. Pendant au moins deux heures, juste avant qu'il ne meure, Jules Vernes et moi furent contemporains.

Fermé aux mathématiques qui m'emmerdaient et m'emmerdent toujours (mais je le leur rends bien), je leur préférais l'histoire et la géographie.

Ma seconde passion fut la boxe. J'ai gagné trois matches, deux par abandon, un par disqualification. Puis, j'ai eu ma première maîtresse. Elle avait quarante ans. Plus de soixante années après, je continue à aimer les femmes de quarante ans. Bel exemple de continuïté.

Léo Campion, chansonnier avant tout, successivement directeur artistique du Caveau des Trois Maillets, du Caveau de la République et de la cave Le Tabou, est né d'une mère parisienne et d'un père hennuyer.

Défenseur de la notion du carpe diem, anarchiste, livre penseur, franc-maçon et Grand Maître de la Confrérie du Taste Fesses, il a mené bien des luttes. Son ami belge, le chansonnier Jo May, le définit comme le plus fantastique des hommes sérieux sous le manteau de dérision et d'humour philosophique.

Dans les années '20, à la mort de sa mère qu'il adorait, il vécut en Belgique où il fit son service militaire comme pilote aviateur. Quelques années plus tard, pour protester contre un projet de loi interdisant la propagande pacifiste, il renvoie ses papiers militaires. Il est emprisonné avec son ami Marcel Dieu (dit Hem Day). Cela leur vaut, le 19 juillet 1933, un retentissant procès où Léo ridiculise les autorités judiciaires et militaires. Ils sont défendus par un jeune avocat qui répond au nom de Paul Henri Spaak. Malgré des témoins percutants (Victor Marguerite, Georges Duhamel, Emile Vandervelde et tant d'autres), Léo est condamné à 18 mois et son comparse, récidiviste, à deux ans de prison. Ils refusent d'aller en appel et font la grève de la faim. Une vaste levée de boucliers aboutit à leu libération inconditionnelle. «Nous avons même refusé de signer la levée d'écrou… En compensation, nous étions chassés de l'armée et privé de nos droits civils et politiques, ce qui n'eut aucune influence sur notre métabolisme basal.»

A sa sortie de prison, nombreux sont les camarades italiens et espagnols recherchés, qui trouvent refuge dans la bouquinerie de Hem Day à l'avenue des Arts. Au premier étage, une manufacture d'objets pour camelots abrite six ou sept pensionnaires réfugiés qui, tous, répondent au nom de Barretto, ainsi qu'un «expert» fabricant de fausses pièces d'identité.

Léo mène une vie de bohème à Bruxelles. Pour subsister, il dessine, seul travail qu'il puisse faire en s'amusant. Ses premiers dessins (mauvais, dit-il) se vendent mal. En 1937, Jacques Van Rossum, avocat, dirige le cabaret montmartrois Le Grillon. Il incite Léo à mettre au point un numéro de caricatures avec commentaire dans le spectacle de son petit théâtre. Pendant la guerre, il perd son boulot de journaliste et celui de caricaturiste, la censure l'empêchant de représenter Staline, Hitler ou Léon Blum. Tout l'art consiste alors à fauire passer un texte anodin à la lecture, qui devient explosif dans la façon de le dire. Jacques Grello, nous rapporte-t-il, était le plus expert dans cet art…

Après la guerre, avec Jean Léo et Marcel Antoine, Campion fonde l'hebdo satyrique Pan. Codirecteur pendant cinq ans, ils passèrent la main. Au fil des ans, Pan a perdu le côté anarchisant de ses débuts.

Suite au prochain numéro

Humour C(h)ampion

  • Une femme légère ne se mesure pas au poids.
  • Civilité: J'ai dit à mon compte en banque «Je vous en prie, restez couvert.»
  • Je ne suis pas juif, mais je suis circoncis. Bel effort oecuménique… localisé.
  • L'argent, dit-on, procure tout… Ce n'est pas vrai; il ne dispense ni l'esprit, ni l'intelligence, ni le talent, ni le bon goût.

Chronologiethème

Mai 2000: l'éditorial de Suzanne Ferry

Seule la passion peut maintenir l'homme sur le chemin de la création. Est-il chose moins raisonnable dans ce monde que cet entêtement?

Jacques Attali, dans son dernier livre, Fraternités, Ed. Fayard, nous cite Musset en épigraphe: Quand la passion emporte l'homme, la raison le suit en pleurant et en l'avertissant du danger; mais dès que l'homme s'est arrêté à la voix de la raison, dès qu'il se dit «C'est vrai, je suis fou, où allais-je?» la passion lui crie «Et moi, je vais donc mourir?»

«J'ai réussi ma vie» - Léon Campion

«Sublime Léo Campion, la plus belle barbe de Paris, la plus belle calvitie de l'univers» a écrit Rabinaud. Et Paul Guth: «Campion, naïf comme une vierge flamande, a la malice fraîche et cressonnière.»

Nous avions évoqué, dans notre précédent programme, sa jeunesse et son engagement comme objecteur de conscience, qui lui valut en 1933 procès, condamnation et une formidable levée de boucliers jusqu'à sa libération inconditionnelle.

1933 devait être pour moi une année faste. C'est fin '33 que je fis la connaissance de Jeanno. Elle fut la femme de ma vie jusqu'à sa mort, 47 ans après. Imprévisible. généreuse, dépensière, argotique. sans détour… Elle avait une fille de cinq ans que nous avons élevée et qui fait notre joie. Car si je ne me reconnais pas le droit de mettre un enfant au monde sans lui demander son avis, je n'ai pas l'amour-propre de mon sperme et elle est vraiment ma fille. Elle a d'ailleurs, quand elle a fait du cinéma, pris le nom d'Anne Campion. Nous nous aimons beaucoup. Elle a un Jules, j'ai donc un gendre. Il n'est pas sourd, moi non plus, aussi nous nous entendons très bien.

Dans la galerie des gens célèbres qu'il a côtoyés, il nous cite Renoir, qui l'a mis en scène au cinéma, et Jean-Louis Barrault, qui l'a mis en scène au théâtre, alors que je ne suis même pas comédien, seulement un chansonnier qui joue la comédie s'excuse-t-il, cela s'appelle la chance.

Il rencontre Raymond Queneau, Grand Conservateur de l'Ordre de la Grande Gidouille, distinction octroyée par le Collège de Pataphysique, nettement moins répandue que la Légion d'Honneur. Il avait un rire sonore et communicatif, était le seul a l'époque - avec Prévert - à boire du whisky.

Pendant la drôle de guerre ('39-'40), Léo travaille beaucoup avec Charles Trenet qui faisail, paraît-il, en privé, une imitation très réussie du maréchal Pétain, plus gâteux que nature. Il a eu le rare mérite de démontrer que la poésie pouvait être aussi commerciale. Y aurait-il eu sans lui Brassens, Ferré, Brel, Aznavour?

Il a connu Aznavour quand celui-ci commençait à chanter au Caveau de la République (dont Campion fut le directeur artistique). Il avait un nez qui lui tombait dans la bouche. Il se l'est fait arranger au Canada. Son nouveau nez était la moitié de l'ancien. «Tu te dis que tu connais cette tête-là sans me reconnaître? C'est à cause de mon nez» lui dit Aznavour devant son air perplexe.

Il côtoie Armand Bachelier (qui adorait mettre en boîte ses amis, Campion surtout), le plus prestigieux des correspondants de la radio belge, qui connaissait par coeur tout ce que le monde contenait de célébrités. Sa compagne était la chansonnière Claude Alix.

Il a joué avec Pierre Dac dans leurs sketchs, chacun s'efforçait sur scène de faire rire l'autre eu changeant le texte inopinément. Mais Pierre Dac était aussi philosophe, nous dit-il, c'est lui qui a écrit: «Si tous ceux qui croient avoir raison n'avaient pas tort, la vérité ne serait pas loin..»

Revenons à Jeanno, l'amour de sa vie. Il ne cache pas son immense chagrin lors de sa disparition…

  • Elle avait de l'humour, était intelligente
  • Passionnée de lecture, avait la dalle en pente
  • Nous nous chérissâmes pas loin de cinquante ans
  • Toujours je pleurerai mon bel amour d'antan.

Et ce frondeur, ce libertaire, cet anti-tout-ce-qui-sent-le-faux-cul, cul bénit, cul cousu écrit encore sans la moindre pudeur: Ma maman, mon ami Marcel Dieu, Jeanno, toujours, tous jours, tous les jours sont présents dans mon coeur. Peut-être l'ombre des morts que nous avons aimés, flotte-t-elle légère parmi nous.

Et toi Léo, où es-tu, toi que j'ai rencontré dans ma rue, avec ton ami Jo… C'était vers 1985, je m'en souviens oh! combien.

Suzanne Ferry

Nous quittons l'ami Léo. Cet anarchiste, poseur des seules bombes pétries de lettres et d'esprit, n'avait pas besoin de maître; bonté et bon sens lui ont suffit. «C'est un don, nous dit-il, d'être heureux.»

Une petite dernière? Parlant du fils de Dieu et d'un charpentier nommé Joseph: «Quelle que soit l'étrangeté de sa filiation, quelqu'un qui change de l'eau en vin ne peut être qu'un type bien.»

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