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L'Afrique

Mai 2002: l'éditorial de Suzanne Ferry

La Loi de la Jungle - Kenya 2002.

Elle est terrible… pour les animaux et pire encore quand les hommes s'y mettent… Mais laissons ces derniers aujourd'hui. Cinq jours de safari nous ont appris à aimer et à comprendre autant les uns que les autres. Nulle part ailleurs dans le monde il n'y a une politique de protection comparable à celle du Kenya et de la Tanzanie. L'Afrique de l'Est, dernière citadelle de la vie sauvage du monde, est épargnée des ravages de la pollution industrielle.

« Là où il y a des Massaïs, il y a des animaux. » Ces tribus, vivant d'élevage et non de chasse, les animaux sauvages se sentent en confiance. C'est pourquoi les parcs de réserve naturelle sont établis dans leurs territoires.

Nous avons été accueillis dans l'une de ces tribus: 72 personnes dont la moitié sont des enfants. Ils vivent - mais si peu - dans des maisons de terre séchée ne dépassant pas 1,30 m de haut. Pas de fenêtre. Deux pièces de 2 m x 2 m à peu près. Le plus surprenant, c'est la porte cadenassée sur chacune d'elles.

Les Massaïs sont beaux, de taille élancée et très dignes. Ils vous accueillent avec danses et chants, émouvants dans leurs costumes chatoyants toujours rouges, avec de nombreux bijoux colorés faits de milliers de perles minuscules. Ce sont les femmes qui donnent la couleur particulière à chaque tribu. Nos hôtes nous ont appris à fabriquer le feu par frottement sur une planchette d'une baguette, faite d'une racine de bois dur.

La participation financière qu'ils nous demandent sert à financer la création d'une école pour les tout petits. Les plus grands partent pour un trimestre dans une école située à plus de 100 km.

On craignait la chaleur en cette saison de pluies. Il n'a pas plu et la température n'a pas excédé 25°: nous étions à 2000 m d'altitude, au pied du Kilimandjaro, la plus haute montagne d'Afrique (5895 m.) Quelles étendues, quelle pureté de l'air. Le plus grand bonheur? Les myriades d'étoiles de la Voie Lactée qu'on peut admirer la nuit.

Mais où sont-ils, ces animaux qu'on avait envie de croiser dans leur milieu de vie? Présents partout, dès qu'on franchit les portes d'une réserve. C'est une pintade qui ouvrit le festival et, dans l'ordre des découvertes, éléphants, girafes, dik-diks, impalas, toucans gazelles, crocodiles, zèbres, marabouts, cigognes, hippopotames… mais pas de lions. Le lendemain, rendez-vous avec les babouins, une panthère, des zèbres, un phacochère (oh que c'est laid!), des gnous, mais toujours pas de lions. Et puis des grues royales, gazelles, oies d'Egypte, ibis sacrés, hérons, autruches, hyènes, chacals, buffles géants, mais… n'y a-t-il pas de lions en Afrique?

Le quatrième jour: léopard, marabouts, pélicans, chacal, rhinocéros et des milliers de flamants roses dans le lac de Nakuru. Ah enfin: deux lionnes et un lion passent nonchalamment et vont attaquer un vieux buffle claudiquant – qu'ils n'auront pas. La proie a soudain retrouvé sa patte de jeunesse pour rejoindre le troupeau.

Aigles, serpentaires, antilopes et j'en passe. Combien nous ont échappé? Ils se confondent si bien avec le paysage. On les cite au singulier, ils sont parfois en troupeaux par centaines, voire par milliers. Savez-vous que les éléphants ont six dentitions successives et qu'après usure de la dernière, ils doivent mourir de faim. Savez-vous que la maman crocodile peut favoriser le choix du sexe en abritant ses œufs plus ou moins de la chaleur (environ 20° pour les femelles, 25° pour les mâles). Savez-vous que les crocos et les hippopotames vivent mal leur cohabitation en rivière, les premiers se régalant des bébés hippos. Savez-vous enfin que les Massaïs tirent leur alcool des fruits de « l'arbre à saucisses » qui tire son nom de la forme des fruits (comme des concombres); les vieux en absorbent en abondance et sont pompettes en permanence.

Il y a tant de bonté dans le regard des Massaïs; il y a tant de beauté préservée dans cette terre d'Afrique épargnée de la pollution des hommes, que l'exemple de l'Ouganda, terriblement et irrémédiablement abîmé par près de 20 ans de guerre, nous conduit à une profonde reconnaissance pour ces hommes respon-sables, dont le dénominateur commun reste la sauvegarde d'un patrimoine unique, l'amour, la compréhension et l'estime qu'ils ont de leur monde. Comme il fut dur, sortant du paradis, le furtif passage dans les bidonvilles de Mombasa où, sans doute, s'exerce la plus terrible « loi de la jungle. »

Hakuna matata (Pas de problème), telle est la devise là-bas. Pourtant, six jours passés avec notre guide nous ont permis d'apprécier leur sens des responsabilités. Merci Abdallâh.

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Sept/oct 2005: l'éditorial de Suzanne Ferry

Madagascar

L'île de Madagascar s'ouvre de plus en plus au tourisme. Il faut les aider en voyageant là-bas, nous avait dit cette infirmière de la coopération qui y avait fait 2 séjours. Après trois semaines passées entre hauts plateaux et région côtière, traversant moult petits villages (très pauvres), nous sommes revenus en Europe - mal à l'aise.

Bien sûr, raconter ces photos pittoresques de fillettes pilant le manioc. Bien sûr, vous parler des magnifiques couchers de soleil, de la voie lactée qui fait tourner la tête à force de vous coincer la nuque en comptant les étoiles? Et ces facétieux lémuriens, bêtes délicieuses qui vous sautent sur l'épaule et quémandent caresses - et bananes surtout! Vous parler aussi de la forêt primaire, de son profond silence entrecoupé de craquements inquiétants quand votre guide vous y emmène en pleine nuit. Vous parler surtout de la visite des vertigineux « Tsingy » de Bemaraha, formations géologiques karstiques où vous vous déplacez sur des petits socles de plus ou moins 20 cm, accrochés par des clous aux falaises; vous vous promenez de bas en haut, de haut en bas, de gauche à droite, collés aux parois rugueuses, assurés seulement par d'hypothétiques harnais, au-dessus du vide allant parfois jusqu'à 50 mètres. « Ils sont fous ces Malgaches! », ai-je lancé - un peu fière pourtant - à notre guide hilare.

Tout ça, c'est la petite histoire, mais la grande tragédie de l'Afrique, c'est cette misère que la surnatalité des plus pauvres n'arrange pas.

Des bics, quelques bonbons, quelques T-shirts? Ils manquent de tout. Ca, c'est « l'emplâtre sur une jambe de bois ». C'est l'éternelle mise en présence de celui qui n'a jamais eu faim avec l'autre, avec les autres. On leur donne des stylos-billes, on ne pense même pas que dans ces petits villages perdus, ils n'ont peut-être pas de papier pour les utiliser s'ils ne vont pas à l'école.

Mon dernier regard sur Madagascar? C'était à l'aéroport, le clin d'½il d'un petit garçon à qui j'avais donné un petit pain, relief du repas de midi, et qui m'avait sans doute vue manger une gaufrette. « J'aime bien ça aussi », m'avait-il dit en lorgnant vers mon sac. J'ai donc ajouté « ça aussi ». Ils étaient 20, 30, sans doute davantage dans cet aéroport de Tana, livrés entièrement à eux-mêmes paraît-il, espérant les quelques piécettes dont les touristes se débarrassent au dernier moment et notre bonhomme s'est mis à l'écart pour manger à l'aise, sachant que je ne pouvais pas les satisfaire tous. Je n'oublierai pas son sourire complice quand j'ai franchi le passage qui me ramenait vers l'abondance. Madagascar, tout comme l'Afrique continentale est malade, malade du Sida, malade aussi depuis longtemps des puissances étrangères qui exploitent les richesses. Personne n'ignore que certaines guerres même tribales avec leur cortège de misère sont en sous-main alimentées par l'intérêt de certaines puissances internationales.

Dans les années '50, à l'école de mon enfance, on nous expliquait la grandeur du cadeau de Léopold II qui nous avait donné le Congo en même temps que la prospérité. De quelles vérités vivons-nous? Et, sans nous sentir coupables, comment sensibiliser à la possibilité d'un meilleur partage? Le maître-mot? Moins de cadeaux, plus d'équité mondiale.

Du roman « La vie devant soi », l'humour subtil de Romain Gary me revient par le petit Mohamed, enfant abandonné dont s'occupe la grosse Madame Rosa, juive rescapée de l'holocauste. Le petit Momo y médite cette phrase de son vieil ami M. Hamil "Rien n'est blanc ou noir, le blanc, c'est souvent le noir qui se cache et le noir, c'est parfois le blanc qui s'est fait avoir". Et Momo de conclure: « Monsieur Hamil est un grand homme, mais les circonstances ne lui ont pas permis de le devenir. »

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Mars/avril 2006: l'éditorial de Suzanne Ferry

Du Sénégal… à l'abbé Pierre

Une semaine au Sénégal? Quel régal. A la même période que le Paris-Dakar? Oui, mais pour un autre regard!

On pourrait vous proposer quelques images d'Epinal, mais autant vous le dire d'entrée de jeu, vous n'aurez pas droit à la description des ciels d'Afrique au crépuscule, pas plus qu'aux regards d'enfants souriant de toutes leurs dents (il faut faire vite, car les bonbons distribués qui donnent si bonne conscience aux touristes laissent des traces!

Nous étions à 270 km de Dakar, à l'orée d'un village nommé Toubacouta dans le delta de Sine-Saloum bordé de palétuviers. Pas de télé. Le journal le plus récent était celui que nous avions amené de l'avion. Nous sommes hors du temps - loin de la modernité de Dakar. Pas de spectacle à la c.. pour touristes, mais certains soirs de danses africaines par la troupe du village (qui s'est produite en Belgique et a reçu des fonds de la main de l'un de nos ministres pour leur école) troupe composée de 4 filles et 4 garçons dansant jusqu'à la limite de leurs forces physiques pour nous étonner, (et nous le fûmes) accompagnés de djembés endiablés et autres percus.

Nous avons aussi vécu le Tabaski, c'est comme cela qu'ils appellent la fête du mouton qui avait lieu ce jeudi-là. Nous avons vu des milliers et des milliers de moutons parqués sur les 270 km de route, amenés (surtout) par des nomades pour être vendus aux fidèles. Nous avons assisté dès l'aube à l'ultime bain des quadrupèdes ruminants, tondus, grelottant sous la brosse, le savon et l'eau de la mer. Quel concert de bêlements? Et se dire que quelques heures plus tard, ils seront égorgés! Bof, pas d'hypocrisie, on tuait sans doute au même moment - et pas dans de meilleures conditions - le b½uf dont j'apprécierai le steak dès mon retour.

Un jour, je partagerai avec vous cette longue conversation échangée avec notre guide - 25 ans et pas mariée encore.

Tant de vérités non falsifiées sur les peurs, les doutes et les espoirs d'une jeune femme africaine, lucide et musulmane.

Mais ayant découvert cette semaine le dernier livre de l'abbé Pierre « Mon dieu, pourquoi? » (Ed. Plon), je ne résiste pas au désir de vous livrer un des derniers chapitres. Il y parle beaucoup de religion bien sûr, mais avec quelle ouverture, quelle simplicité, quelle autocritique et adéquation aux réalités d'aujourd'hui, tendresse aussi en filigrane. Sorti en décembre 2005, je regrette que ne puisse figurer son avis sur les « caricatures » quand tant de contradictions, de vérités et de bêtises se côtoient sur le sujet actuellement.

Le fanatisme religieux (page 100)

« Je viens de relire une encyclopédie sur 20 siècles de christianisme et j'ai été frappé de découvrir ce qu'ont vraiment été les croisades. L'idée même de croisade, c'est-à-dire de verser du sang pour être propriétaire des lieux de la vie de Jésus, est déjà tout à fait révoltante. Mais utiliser ce prétexte pour tuer des populations civiles et dans le véritable but de dominer et de s'enrichir l'est encore plus. »

« C'est pourquoi je m'interroge sur la « croisade » ce sont ses propres mots, que Georges Bush est en train de mener au Moyen-Orient. Il y a eu tellement de mensonges derrière ses beaux discours sur la volonté d'apporter la liberté et la démocratie, tellement de sang versé chez les civils innocents, tellement de bas calculs politiques et économiques, qu'on ne peut s'empêcher de se dire que l'histoire, hélas, se répète. Fallait-il répondre à la terrible provocation des terroristes d'Al Qaida par une nouvelle croisade? Guérit-on le mal par le mal? Je crains que tout cela n'entraîne le monde dans une nouvelle guerre entre la civilisation chrétienne et la civilisation musulmane - ce que souhaitait Ben Laden -, conflit que l'on aurait parfaitement pu éviter avec plus de sagesse et de retenue. »

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